Sébastien Tourné, Directeur général et consultant senior en merchandising de l’agence CROSS et Erwan Krotoff, associé fondateur de Retail-VR, fournisseur de solutions 3D pour les métiers du commerce, débattent du futur souhaitable ou acceptable de ces technologies. Comment la réalité augmentée, la réalité virtuelle pourraient bouleverser les usages des shoppeurs comme des vendeurs à l’avenir ?

De quelles technologies parle-t-on ? ET ou en est-on aujourd’hui de leur utilisation ?

Erwan Krotoff : Nos solutions chez Retail VR consistent à proposer des expériences immersives au client. Via des casques de réalité virtuelle ou depuis son navigateur, le consommateur est plongé dans l’univers de la marque, qui ne sera pas de même nature s’il s’agit de vendre des meubles ou des chaussures de randonnée. L’idée est de lui présenter le produit dans un contexte d’usage : au bord d’un lac pour les chaussures de randonnée, dans son salon pour son futur canapé.

Je crois que ce type d’expérience est à même de transmettre des émotions liées au produit, et aux valeurs de la marque. C’est ce qui manque aujourd’hui. Ni dans le e-commerce, ni dans les commerces physiques de détail, on ne trouve ce degré d’expérience, d’immersion dans l’univers de la marque.

Il ne s’agit pas de transformer le magasin en parc d’attraction, mais de faire en sorte qu’il ne soit pas que le lieu où l’on vient réaliser une transaction. Quand je me rends sur des salons, ou des événements, je vois beaucoup de ces dispositifs qui consistent à mettre des écrans partout. A croire qu’on parle de science-fiction. Or non, la problématique des magasins c’est d’accueillir au mieux ses clients. Et ce ne sont pas les écrans qui créent cette relation mais bien le vendeur en magasin. La technologie devra toujours être au service de cette relation client.

Sébastien Tourné : Le secteur de la distribution doit répondre au défi de l’irruption de technologies facilitantes dans la vie du consommateur. Beaucoup de marques se posent la question de quel canal privilégier : le e-commerce ou le canal physique. En réalité bien sûr les consommateurs zappent de l’un à l’autre. Mais il reste que beaucoup d’achats, au lieu de se faire dans des commerces de détail, se font sur Internet. Or sur ces plateformes, l’expérience est limitée.

De plus, le consommateur est tellement envahi de technologies au quotidien. Il a plus de communication avec l’écran de son portable qu’avec d’autres êtres humains. Le commerce physique a un rôle à jouer de lien social, qu’on commence à perdre dans la vie quotidienne. Ça peut même devenir un facteur de différenciation fort.

Car avant tout je crois au contact, à la Vue, au Toucher. Le rapport avec un être humain, la mimique de la vendeuse, l’accent de sa voix, ça fait toute la différence selon moi. Les solutions immersives de demain devront intégrer cette dimension, et aller plus loin dans l’expérience sensorielle. Aujourd’hui les technologies disponibles ne répondent pas à ces aspirations. Et je ne suis pas certain que l’Intelligence Artificielle parvienne à ce degré de sophistication.

EK : Effectivement, nous ne sommes qu’au début, à l’an 2 ou 3 de ces technologies immersives. La réalité virtuelle a été révélée au grand public il y a quelques années par le jeu Pokemon Go. Aujourd’hui nous savons faire de l’immersif avec du visuel, du son, même du toucher parfois. Mais évidemment, nous n’en sommes pas encore à remplacer l’expérience vécue réellement.

IKEA dans le secteur du meuble s’est approprié cette technologie pour apporter un service supplémentaire à ses clients : la capacité de configurer le meuble puis le visualiser en 3D dans son intérieur. Cependant on va toujours en magasin vivre une expérience différente.

Les casques sont déjà très immersifs et le seront de plus en plus. Cependant, ils peuvent être un frein à l’interaction avec le vendeur car aujourd’hui c’est une expérience individuelle. Par contre, on assiste à une explosion des technologies d’avatars qui vont permettre d’interagir de plus en plus avec l’extérieur.

Amazon annonce vouloir ouvrir 3000 magasins sans caisse d’ ici 3 ans. Qu’est-ce que cela vous évoque ?

EK : Ça correspond à la logique de leur plateforme qu’ ils transposent au physique. Ils réinventent un modèle qui économiquement parlant me paraît viable, et aisément scalable. Cela convient à une certaine clientèle, mais pas forcément à tout le monde. Et puis si on retire du monde en caisse, peut-être qu’on peut raconter une autre histoire en magasin, une histoire différenciante, d’autres services à valeur ajoutée.

ST : Cela va dans le sens du progrès, d’enlever tous les irritants. Avec les caisses automatiques, voire pas de caisse du tout, certes on gagne du temps. Il n’y a personne pour t’embêter, mais il n’y a personne pour t’aider non plus.

Et puis peut-être que concomitamment, le boucher, le poissonnier d’en face vont tirer leur épingle du jeu, en faisant valoir la qualité de la relation, de l’humain comme un facteur de différenciation. Le fait d’avoir quelqu’un capable de te conseiller, de te donner un avis, c’est une vraie valeur ajoutée, ça peut donc se vendre plus cher. Le consommateur continuera d’aller chez Amazon pour ce qu’il considère ne pas avoir besoin de valeur.

Ce qu’il veut, c’est du temps. Il ira compléter ses achats chez d’autres commerçants pour d’autres denrées qui pour lesquelles il sera prêt à payer plus cher. Parce qu’il recherche une valeur différente : conseil traçabilité, accompagnement.

Que pensez-vous de l’usage de la technologie par les vendeurs en magasin ?

E.K : Il faut que ce soit bien fait. Il faut que la technologie apporte réellement quelque chose à la relation entre le client et le vendeur. Et surtout qu’elle ne s’interpose pas entre eux. En l’occurrence une tablette entre les mains du vendeur sur laquelle il aurait les yeux rivés plutôt que de s’adresser à son interlocuteur. On n’attend pas du vendeur qu’ il fasse des recherches sur Internet à notre place. Sinon quel intérêt d’aller en magasin, chercher une info à laquelle j’ai aussi accès en 2 clics.

S.T : Dans certains cas, un humain augmenté d’une tablette peut traiter ton problème sans effort. Sans être spécialiste de sa matière, il serait à minima spécialiste de son outil. Le vendeur devrait pouvoir disposer d’outils qui lui sont propres, avoir accès à des infos qui ne sont pas sur Internet. Avec l’appli « Je suis un pharmacien » par exemple, qui ne serait pas disponible pour le grand public, il pourrait confirmer son diagnostic. Et le consommateur n’aurait pas à aller se renseigner sur Internet.

Chez Leroy Merlin, s’ils avaient tous une tablette avec des tutos « comment changer un tuyau de douche », ils seraient en mesure de montrer au client le B.a-ba et de lui envoyer le lien. Grâce à cela, le client sait ce qu’il achète, sait pourquoi il l’achète, et s’en souvient. Plus besoin de faire semblant d’écouter le vendeur pour au final rentrer chez soi, sans avoir rien compris.

E.K : Au final, personne n’a encore trouvé la formule magique. Le bon dosage de la technologie dans le retail au service de la relation client. On dépend encore beaucoup de la partie hardware, du matériel disponible sur le marché actuellement. On suit de près ce qui se prépare. Toutes les directions d’innovation ont les yeux rivés sur ce sujet et font des projections. WallMart a par exemple commandé des casques de réalité virtuelle pour tous ses magasins. Mais la chaine de distribution américaine va les employer pour former ses équipes, pas pour que les clients fassent leurs courses avec. Pas encore.

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